J'avais déjà traité la question des attentes mais aussi l'articulation entre attention et intention. Cette fois, je plongerai dans le concept d'attention au sens des sciences cognitives aidé par l'excellent livre de Jean-Philippe Lachaux: Le cerveau attentif (Ed Odile Jacob). Comme la question est très vaste, je l' envisagerai ici sous l'angle simultané de l'apprentissage et de l'hypnose (forcément!). Nous verrons donc comment l'hypnose peut favoriser l'optimisation des apprentissages. Cela viendra donc compléter l' article que j'avais écrit sur émotions, apprentissages et hypnose .
Comme souvent, il peut être utile de commencer par définir ce dont on va parler...
L'attention est le processus cognitif qui nous permet de nous orienter vers les stimuli les plus importants et les traiter pour répondre en bonne et due forme. Elle est orientée par les émotions. Elle peut être consciente ou inconsciente.
On comprend donc que cela sera utile en terme d'apprentissage, que cela soit l' apprentissage d'un savoir, d'un savoir faire ou même d'un savoir-être. Les émotions peuvent donc influencer cette capacité, j' en ai déjà parlé ailleurs mais j'y reviendrai plus bas. Enfin, l' attention peut être consciente ou inconsciente, la partie inconsciente intéressera forcément l'hypnose.
Bon, ça c'est dit... Mais comment ça fonctionne cette bête là?
Notre cerveau est face à une quantité d'informations à traiter qui est énorme. En ce moment même votre regard a la capacité d'avoir un champs de vision d'environ 180°, vous entendez à 360° des sons plus ou moins lointains et votre corps est truffé de capteurs lui permettant d'enregistrer la température, la pression et la position dans l' espace. C'est énorme et si on prend la peine d'essayer de percevoir tout cela en même temps, on se rend bien compte que ça prend toute la bande passante de notre cerveau sans même arriver au bout de la tâche.
Face à cela, le cerveau filtre en permanence les informations qui lui parviennent en continu afin de ne traiter que celles qui ont une importance subjective. L'attention fonctionne donc comme un filtre. Ce traitement de l'information suit deux voies dans le cerveau. La voie bottom up (en termes hiérarchiques) ou feed forward (En termes anatomiques) qui va, pour simplifier, des aires sensorielles et motrices du cerveau situées à l'arrière du crâne vers les aires du système executif (siège des fonctions de planification et de stratégie) située derrière le front. La voie top down (en termes hiérarchiques) ou feedback (En termes anatomiques) suit le chemin inverse. Ces deux voies sont interactives, vous comprendrez pourquoi en lisant la suite.
La voie bottom up repose sur un traitement automatisé de l'information. Qui dit automatisé, dit inconscient, dit possibilité d' action grâce à l'hypnose... Mais j'y arrive...
Ce traitement automatisé repose lui même sur des structures neuronales qui ont pour but de repérer certains stimuli. Certaines de ces structures neuronales sont communes à tous les humains. Le regard de tous les humains sera attiré par ce qui nouveau ou inhabituel, c'est un mécanisme de survie de base. A notre époque, cela marche aussi avec du texte surligné qui aura tendance à attirer votre attention (Tout comme un texte en gras d'ailleurs...)
D'autres de ces structures neuronales seront la résultante d'un apprentissage plus volontaire et subjectif. Tout apprentissage a pour vocation d'acquérir certain filtres, certains "set attentionnels" (ensemble d'instructions concernant l' attention) et de les rendre inconscient. Quand vous conduisez ou que vous jouez d'un instrument, avez-vous conscience de tous les mouvements de votre attention? Dans un premier temps oui mais si vous n' avez plus eu d'accidents de la route depuis un petit temps ou si vos voisins ne sont pas en dépression, il y a de bonnes chances que tout un tas de set attentionnels soient devenus inconscients vous permettant une relative maitrise de ces compétences!
Ces structures neuronales acquises sont en quelque sorte le produit de la voie top-down de l'attention. A force de porter volontairement votre attention sur certaines chose grâce à votre système exécutif (la partie frontale de votre cerveau, le stratège planificateur en vous, celle qui a des objectifs), vous changez votre attention inconsciente... Et donc votre perception de la réalité! C'est un "truc" qui est pas mal utilisé en psychologie positive, par exemple en vous faisant noter (et donc en attirant votre attention vers) les évènements de la journée pour laquelle vous avez de la gratitude. Pour prendre un autre exemple, si vous avez appris à dessiner, vous aurez peut être remarqué que vous ne voyez plus tout à fait le même réel qu'avant...
Pour filer cette idée, on pourrait imaginer que votre système exécutif décide d'apprendre le dessin le plus rapidement possible. Il pourrait alors être intéressant de lui souffler à l'oreille de s'aider avec l' hypnose! En effet, en hypnose, il y a tout un tas de moyens pour accélérer l'acquisition de nouveaux set attentionnels. On peut utiliser des exemples inspirants qu'on modélise, des métaphores,... Cela ne vous permettra malheureusement pas de devenir Van Gogh ou Picasso en une séance mais cela facilitera l' acquisition de nouveaux filtres attentionnels adaptés à la compétence que vous voulez développer. Ce n'est bien sûr qu'une partie de la compétence "dessiner" mais c'est une partie utile (Et d'autres parties peuvent être favorisées grâce à d'autres approches hypnotiques...)
De plus, il faut noter que si l' attention peut être dirigée vers l'environnement extérieur (On parle d'attention éxogène), elle peut aussi être dirigée vers l'intérieur et ce qu'il se passe dans votre esprit (attention endogène). Dans l'idée d'un apprentissage plus théorique et moins technique, on pourrait très bien utiliser l' hypnose pour, par exemple, porter votre attention endogène vers la création de liens entre ce qui est déjà dans votre mémoire et les nouvelles informations qui arrivent. De la sorte, la mémorisation à long terme serait favorisée. Je ne développerai pas ici mais c'est comme ça que notre mémoire fonctionne: au plus le réseau de liens entre les différentes informations est dense, au plus leur mémorisation est profonde et durable. Il existe d'ailleurs des techniques de mémorisation qui travaillent cela.
L'attention top down, elle, traitera de manière plus poussée, en faisant des choix plus conscients, la portion de réalité qui lui aura été amenée par l'attention inconsciente. Elle est d'autant plus importante qu'une fois que l' attention a été capturée par la voie bottom up, il peut assez vite s'installer une captivation, une fascination de l' attention si la voie top down ne s'occupe pas de diriger l'attention. Cette fascination entraine l'esprit dans une hyperfocalisation qui n' est pas forcément productive; notamment en terme d'apprentissages. Cette fascination peut être corporelle, émotionnelle ou cognitive (Généralement un mélange des trois dans des proportions variables)
En ce qui concerne la fascination corporelle, une zone du cerveau humain (La partie antérieure du sillon intra pariétale pour ceux que ça intéresse) garde en mémoire la façon dont on utilise un objet usuel, les actions qui sont le plus souvent associées à ces objets. L'arrivée de l' attention sur un objet déclenche donc automatiquement un ensemble de propositions d' actions relatives à celui-ci. On est donc totalement absorbé dans les gestes et les mouvements et on perd de vue tout le reste. C'est une problématique qui est parfois envisagée dans les arts martiaux. En effet, il peut être utile de s'absorber dans un geste jusqu'à le rendre le plus parfait possible à l'entrainement. Par contre, si on oublie de prêter attention à l'environnement chaotique d'une situation de confrontation parce qu'on est totalement absorbé... Ça risque de mal se passer! C'est pour cela que des gardes fous sont installés pour éviter cela dès l'entrainement dans les arts martiaux un peu sérieux. Ces arts martiaux travaillent donc l'attention.
La fascination émotionnelle est en rapport avec le circuit de la récompense qui est un ensemble de zones du cerveau. Le circuit de la récompense a pour but premier d'encourager les comportement les plus utiles pour l'individu, ceux permettant de maintenir l'organisme dans sa zone de confort, l'état d'homéostasie (Je vais bien, tout va bien). Pour cela, les neurones de ce circuit déclenchent des shot d'opioïdes et de dopamine. Les opioïdes sont des neurotransmetteurs qui nous font ressentir du plaisir, la dopamine elle agit plutôt sur la motivation. Elle a ceci de particulier qu'elle peut être produite dès qu'il y a anticipation de la source de plaisir. C'est ce qui la rend responsable de la motivation. Si on ajoute à cela le fait que la notion de "comportement utile" est subjective et que le circuit de la récompense peut aussi être stimulé par des raisonnements ou des rêveries, on comprend bien l'effet de fascination émotionnelle: une pensée agréable en appelle une autre. Je marche dans la rue et je passe devant un magasin de dessin qui me fait pensé au dernier dessin que j'ai réalisé cette fois où j'étais avec ma femme et où nous étions bien amusés d'ailleurs il faudrait que je lui téléphone, on pourrait aller manger au restaurant... Zut! j'ai raté l'arrêt de bus! Notons aussi incidemment ici que notre circuit de la récompense est mis à rude épreuve dans le monde du neuro-marketing et de la marchandisation du temps d'attention dans lequel nous vivons... Mais c'est un sujet que je n'ouvrirai pas ici.
En hypnose on pourra bien évidemment se servir de ce circuit de la récompense pour créer de la motivation (pour apprendre par exemple!) mais il faudra tout de même veiller à ne pas sombrer dans la fascination. De plus, le circuit de la récompense est aussi chargé de la sanction... C'est donc le même circuit qui peut nous emmener vers une fascination pour tout ce qui pourrait ne pas bien se passer créant ainsi de la peur, du stress voire de l' anxiété et, ça, si vous avez déjà lu l'article précédant, vous savez déjà que ce n'est pas un facteur favorisant pour l'apprentissage et que l'hypnose permet d'avancer là dessus.
Enfin, la fascination cognitive est cette faculté que nous avons à nous perdre dans nos pensées. Ces pensées dans lesquelles nous nous perdons bien souvent sont une forme particulière de pensées, les pensées spontanées que certains scientifiques appellent SIC (Stimulus Indépendant Cognition), des pensées ne dépendant d'aucun stimulus extérieur. Dès qu'il y a SIC, un ensemble de régions du cerveau se met en route, c'est le réseau par défaut. Son utilité est encore discutée mais on sait que dès que les pensées redeviennent orientées, ce réseau s'éteint. Une des explications proposée est intéressante. Elle propose que le responsable de ces association d'idées soit la partie du réseau par défaut appelé Lobe Temporal Médian (LTM). Le LTM est aussi utile à la mémorisation car c'est lui qui crée les liens entre les informations (tiens, tiens...). Au sein de ce LTM l'encodage des information est réalisé par populations. Il y aura, par exemple (sans avoir aucune idées de si ces chiffres recouvrent une réalité quelconque), 350 neurones activés pour l'idée feuille d'arbre, 350 neurones sont activée par l'idée feuille de papier et 50 sont communs avec l'idée feuille d'arbre. D'où: je me promène et mon attention se fixe sur une feuille d'arbre de couleur différente, je pense à une feuille de papier sur laquelle je pourrais dessiner avec ma compagne par exemple, bla... bla... bla... J'ai encore raté l'arrêt de bus! Voilà de quoi mieux comprendre le mécanisme des association d'idées. Bien sûr, il peut être agréable et utile de se laisser dériver au grès des associations d'idées, partir à la pèche aux bonnes idées! (cela peut être une des fonctions de l'hypnose d'ailleurs) Mais il ne faudrait pas que cela soit trop souvent subi sinon cela voudrait dire qu'il n'y a aucun capitaine pour diriger le navire de notre attention.
Une bonne attention est donc une attention qui est capable de se fixer sur un objet tout en évitant le piège de la fascination. C'est la voie top down de l' attention avec le système exécutif comme capitaine qui peut être rendue capable de mener cette mission subtile et délicate. Pour cela, le système exécutif doit apprendre à faire confiance aux processus attentionnels inconscients afin qu'il ne se mette pas en tension inutilement (encore un effet possible de l'hypnose), et intervenir aux bons moments, quand il y aura un ou des choix à faire. Si je continuais à développer, j'en arriverais à parler de définition d'objectifs et d'organisation du temps. Deux notions fondamentales en matière d' apprentissage. Deux notions sur lesquelles on peut utiliser l'hypnose pour avancer. Mais ça ce sera dans un prochain article! Je pourrais aussi parler de méditation comme une pratique permettant de maitriser l'art subtil de l'attention mais c'est aussi un autre sujet...
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